Montagnes D'espoir, le blog d'Emmanuel

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SommetMontblanc

4810m pour le don d’organes

Le Mont Blanc, emblématique sommet des Alpes. Le plus haut. Nous sommes le 22 mai 2017, il est 10 h 45, j’arrive à 4 810 m, au sommet. À cet instant précis, c’est un mélange d’émotions. Je ne sais plus trop si c’est une performance, une sorte d’aboutissement ou un succès. Ce qui est certain c’est qu’à ce moment-là, la vie est simplement belle. La maladie elle est loin, très loin. Je la domine. Et cette domination je veux la partager avec tous ceux qui doutent de leurs c pacités physiques et mentales avec une greffe, avec ceux qui attendent depuis de trop longs mois, années. Je veux la partager avec tous ceux ayant pu être confronté au décès d’un proche, à ceux qui ont dit « oui » ; sans vous je ne serai pas là. C’est une force inexpliquée, un moteur puissant. À cet instant précis je ne suis pas seul au sommet, nous sommes tous ensemble en haut du Mont Blanc, c’est notre victoire, c’est un espoir qui naît, c’est la première fois qu’un greffé, deux fois greffé rénal, arrive au sommet du Mont Blanc en ski de randonnée et en redescendra intégralement à ski par la face nord. À travers ce que les médias appelleront un exploit, j’ai l’intime persuasion que la vie dépasse la maladie. Ce Mont Blanc, je l’ai fait certes comme un passionné de montagne, mais je l’ai fait aussi pour parler et faire parler du don d’organes. Trop de gens attendent, trop de gens meurent faute de greffons disponibles. Nous, patients, nous devons nous mobiliser pour faire valoir cette grande cause nationale. Passionné de montagne, je souhaite montrer que la greffe permet de (re)vivre normalement. Dimanche quatre heures du matin, nous partons de Nice pour Chamonix. À midi nous chaussons les skis, direction le refuge des grands mulets que nous atteignons après quatre heures de montée. Le Mont Blanc est là, il paraît à la fois si proche et si loin. Demain sera une grande aventure. Nous
avons fait le choix de partir en autonomie, sans guide. Les conditions météo du jour sont parfaites, mais reste encore la grande inconnue pour nous transplantés : l’état de forme. Ce dernier peut varier, du jour au lendemain. Pour ma part je sors d’une période pas simple à gérer. J’ai eu un parasite rare qui m’a mis à plat deux mois en début d’année. À ne plus pouvoir monter le moindre escalier sans être essoufflé. Là aussi, un point délicat qui se transformera en force, en énergie revancharde. Je pense bien sûr à tous les patients en attente, à tous ces donneurs et leurs proches. Nous avons tous passé des moments complexes. Une vie riche en émotions ! Qu’elles soient positives ou négatives, elles nous permettent de nous sentir vivants, d’apprendre, de comprendre. Encore faut-il être à leur écoute, ne pas les éviter, les vivre à fond. C’est grâce aussi à cette force venue avec la maladie que j’arriverai, que nous arriverons à gravir le Mont Blanc.
Lundi 22 mai 2017, 1 h 30 du matin. L’ambiance refuge du matin, le bruit sans les paroles. Enfin nous y voilà ! Il est 2 h 45, il fait frais, le petit vent s’installe et nous partons, skis aux pieds. Nous avons repéré la veille le départ et le meilleur « tracé » pour monter. Dès les premières traces le refuge s’éloigne, les chuchotements disparaissent dans la nuit. Malgré une nuit claire, nous voici contraints d’avancer dans l’inconnu. 1 800 m m’attendent, avec un sommet à plus de 4 800 m d’altitude. Partir lentement, doucement, mais régulièrement l’une des clefs de la réussite.
La météo est avec nous, mais chaque minute compte pour pouvoir se reposer un peu « au cas où ». J’ai la pêche ! Ne t’enflamme pas Manu, il t’en reste à faire. La machine est en route ! Nous commençons à arriver dans la zone un peu e posée : des immeubles de glace commencent à nous dominer. C’est splendide. Nous sommes entre 3 800 et 4 100… Il est 5 heures du matin, le petit vent frais est là. La fraîcheur se faire ressentir, le manque de sommeil n’est pas loin. Le sommet du Mont Blanc, la face nord est là, loin mais devant nous. L’itinéraire est relativement simple maintenant. 5 h 45. Nous faisons notre première « vraie » pause. Peut-être cinq minutes. Je me décide à regarder ma montre. Nous sommes à un peu plus de 4 000 m ! 6 h 15… le soleil ! Les premiers rayons viennent nous lécher le visage. 4 200 m nous rejoignons le plat du dôme du goûter et les autres cordées. C’est plat, nous glissons bien et nous rattrapons du monde encore et encore. Le refuge et l’observatoire Vallot sont en vue ! Je sais qu’ils sont à 4 300. Nous décidons de nous arrêter un moment mais cette pause me sera presque fatale ! Je prends un coup de froid à cause de mes gants que j’ai gardés sous mes moufles. Le sommeil m’envahit également ! Nous avons prévu une belle pause à Vallot, je m’y requinquerai. Après avoir pu dormir quelques minutes, nous remettons nos sacs. À partir de là, un poids supplémentaire sur le dos : les skis ! Et oui, c’est l’heure de la fameuse arête des Bosses puis la montée finale au dôme du Mont
Blanc. Les crampons sont donc de mise ! Il reste environ 500 m de dénivelé, les plus longs… Voyons large et ne nous hâtons pas !
L’endroit est magnifique. Nous avançons pas à pas. 4 400 m, 4 500 m… le pas devient lent, de plus en plus lent, le souffle de plus en plus court. Les effets de l’altitude pointent le bout de leur nez. Mais tout va bien. On s’arrête souvent. J’ai vraiment besoin de boire, de manger. Peut-être pour me rassurer. Je veux aller là-haut. Enfin, dernière pause. Vers 4 750 m. Il reste 50 m, une trace côté sud juste sous le sommet nous mène sur ce dôme final. Le
vent souffle, nous nous protégeons un peu sous le sommet pour préparer les skis de la descente. On enlève les peaux, on range tout dans les sacs et pour finir, nous arrivons au sommet du Mont Blanc ! La délivrance ! La joie est intérieure, je crois que je ne réalise pas que je suis sur le toit de l’Europe. Que rien autour de moi ne peut être plus haut.
C’est d’abord un soulagement qui deviendra fierté, puis petit à petit euphorie. « On l’a fait » ! Pour nous, pour eux, pour le don d’organes. Aujourd’hui, la vie dépasse la maladie !

Emmanuel • 25 juillet 2017


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