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Greffes d’organes: deux Québécoises percent un mystère sur les rejets

Au terme d’un travail d’espionnage qui s’est échelonné sur plusieurs décennies, deux chercheuses montréalaises viennent d’intercepter des messages bien particuliers. Il s’agit de signaux envoyés par des organes greffés et qui incitent le corps du receveur… à les attaquer. En bloquant ces messages, les scientifiques espèrent maintenant réduire la fréquence des rejets.

Des messages d’avertissement
C’est le grand problème des greffes d’organes : le système immunitaire considère parfois le nouvel arrivant comme un intrus et l’attaque. Malgré toutes les stratégies développées pour l’empêcher, une greffe sur dix se conclut ainsi par un rejet. Or, deux chercheuses québécoises viennent de faire une découverte étonnante : le système immunitaire ne prend pas cette décision d’attaquer pour rien. C’est l’organe greffé lui-même qui l’incite à le faire.

La Dre Marie-Josée Hébert, chercheuse associée au CRCHUM, et Mélanie Dieudé, chercheuse associée au Centre de recherche du CHUM viennent de découvrir pourquoi les greffes d’organes se concluent parfois par un rejet.
Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

« L’organe envoie un message au corps pour dire : attention, je suis endommagé », explique Mélanie Dieudé, chercheuse associée au Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CRCHUM).

Cette découverte renverse l’idée qu’il faut agir seulement du côté de système immunitaire du receveur pour éviter les rejets.

« C’est vraiment le dialogue entre l’organe greffé et le système immunitaire qui va décider s’il y a un rejet ou non », explique Marie-Josée Hébert, aussi chercheuse au CRCHUM et vice-rectrice à la recherche, à la découverte, à la création et à l’innovation à l’Université de Montréal.

Des « vésicules » spéciales
Non contentes d’intercepter les signaux envoyés par les organes, les chercheuses ont traqué leur origine. Et ont découvert qu’ils découlent du fait qu’un organe transplanté subit invariablement des dommages lorsqu’il est prélevé, manipulé et conservé hors du corps. Ces dommages sont encore plus importants si les organes sont prélevés sur un donneur décédé. C’est quand les cellules des vaisseaux sanguins de ces organes meurent qu’elles sécrètent des bouts de cellules appelées « vésicules » qui alertent le système immunitaire.

«  Ces vésicules contiennent toute une machinerie qui continue d’être active même si la cellule qui les a émises est morte. C’est comme si, avant de mourir, une planète envoyait plein de petites navettes remplies d’astronautes capables d’envoyer des signaux », compare Marie-Josée Hébert.

Des receveurs vulnérables
En temps normal, il est probablement utile pour le corps que des organes envoient des messages pour dire qu’ils sont endommagés. Mais dans le cas d’une greffe, ces signaux peuvent être trop forts et déchaîner le système immunitaire. Celui-ci bombarde alors l’organe d’auto-anticorps (des anticorps que le corps génère pour se défendre contre lui-même).

Le problème est exacerbé chez les patients qui attendent une greffe parce que leur rein, coeur ou autre organe à remplacer est malade. Il a donc probablement lui-même généré des vésicules et alerté le système immunitaire des dommages. « Ce qu’on pense, c’est que le système immunitaire des receveurs est déjà en alerte avant même que la greffe survienne. Alors si le greffon est un peu endommagé et sécrète lui aussi des vésicules, c’est la tempête parfaite », explique Marie-Josée Hébert.

Un médicament possible
Les vésicules n’étaient pas connues avant d’être découvertes par les chercheuses québécoises. Mais la machinerie qu’elles contiennent, elle, l’était. Et on connaît déjà un médicament capable de l’enrayer : le bortézomib, utilisé pour traiter certains cancers de la moelle osseuse. Des tests sur des souris ont déjà montré que le bortézomib permet de bloquer les signaux envoyés au système immunitaire par les vésicules, et des études sont en cours pour vérifier la présence et l’impact des vésicules chez les humains.

Et bloquer les messages d’alerte lancés par les organes assurerait-il des greffes sans rejet ?
« On pense qu’il s’agit d’un facteur important. Ça ouvre en tout cas plein de nouvelles possibilités d’intervention qu’on ne pouvait considérer auparavant », répond Dre Hébert.

Une longue enquête
L’interception des signaux envoyés par les organes greffés est le résultat d’une longue enquête scientifique. Dès les années 90, Dre Hébert a eu la puce à l’oreille en constatant que les organes greffés étaient rejetés plus souvent s’ils provenaient de donneurs morts que de donneurs vivants. Mais à l’époque, l’idée que les cellules des organes puissent envoyer des messages en mourant était à l’encontre des théories acceptées.

« C’était vraiment contre le dogme établi. On apprenait que quand les cellules meurent de façon programmée, elles le font silencieusement, sans émettre de signaux chimiques », raconte Dre Hébert.

La chercheuse a rencontré Mélanie Dieudé, qui travaillait sur les maladies auto-immunes – des maladies où, justement, le système immunitaire s’attaque à des cellules de l’organisme. Leurs expertises se sont complétées, leurs personnalités ont cliqué. La greffe a pris, pour ainsi dire, si bien qu’elles ont graduellement percé le mystère. Aujourd’hui, elles collaborent avec d’autres experts afin que leur découverte serve à améliorer les greffes d’organes.

« C’est un aboutissement, dit Dre Hébert. Mais c’est surtout une nouvelle fenêtre qui s’ouvre de nouvelles possibilités. »

• 24 mars 2017


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