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Les secrets de la première greffe de trachée

Emmanuel Martinod a réussi à greffer une trachée-artère artificielle sur deux patients. Le chirurgien de l’hôpital Avicenne de Bobigny dévoile en exclusivité au JDD les coulisses de cette première mondiale qui mime la nature.
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Agé de 48 ans, Emmanuel Martinod a réalisé cette greffe inédite. (Éric dessons/JDD)

C’est une révolution médicale made in Seine-Saint-Denis. Le professeur Emmanuel Martinod, de l’hôpital Avicenne à Bobigny, a accompli un nouveau pas de géant dans la course mondiale aux organes artificiels. Déjà remarqué en 2011 pour ses travaux pionniers sur les bronches, le chirurgien thoracique a, cette fois, réussi à greffer une trachée-artère sur deux patients. Son épopée de vingt ans, parrainée par le célèbre Alain Carpentier, est relatée dans un article paru dans l’édition en ligne de la revue Annals of thoracic surgery.
Les interventions miraculeuses se sont déroulées en octobre 2010 et octobre 2011. Emmanuel Martinod et son équipe ont successivement opéré deux malades très lourdement handicapés, condamnés à respirer par l’intermédiaire d’un trou béant à la base du cou (trachéotomie définitive) à cause de complications.

Aujourd’hui, la sexagénaire et le trentenaire vont bien. « Ils respirent et parlent normalement », constate sobrement l’article scientifique. Le chirurgien, lui, rougit de satisfaction en racontant que tous deux ont « une vraie vie », à des années-lumière de leur tragédie quotidienne. « Un confrère avait dit au plus jeune : vous pouvez oublier le travail et les amours. Aujourd’hui, non seulement le patient a repris le sport mais il est marié et a eu un enfant. »

« Le vrai génie, c’est l’aorte »

Cette belle aventure a commencé en 1997. Alors jeune interne, Emmanuel Martinod ne se résout pas à voir mourir ou souffrir les patients au cours de sa formation au métier de chirurgien. Après avoir épluché toutes les publications sur les greffes de trachée, il échafaude un scénario original : utiliser un gros morceau de vaisseau sanguin (aorte abdominale) pour remplacer l’organe défaillant. « Cette idée, très simple, est venue par élimination : toutes sortes de prothèses synthétiques avaient été testées sans succès.

Les tentatives visant à prélever une trachée sur une personne décédée ou à greffer aux malades un bout de leur propre intestin ou œsophage avaient elles aussi échoué. » Le coup de génie du professeur Martinod est d’avoir imaginé étayer l’aorte au moyen d’un petit tube métallique (stent) spécialement taillé après reconstruction 3D. Cette méthode permet d’éviter l’administration de médicaments antirejet comme dans les greffes classiques.

« Le vrai génie dans cette affaire, c’est le greffon », plaisante le très modeste Emmanuel Martinod. Dès le début de la phase d’expérimentation en laboratoire, le chirurgien, qui a d’abord rodé sa technique chirurgicale, s’aperçoit que l’aorte est « une matrice extraordinaire ». Au bout de quelques mois, loin de rester inerte, celle-ci se « remet à vivre ». « Le tissu qui recouvre la trachée se reconstitue grâce aux propres cellules du patient, décode-t-il. L’organisme fabrique lui-même sa partie défaillante. » Une potentialité qu’avait entrevue le professeur Carpentier.

Venu le solliciter au tout début de son projet, lorsqu’il galérait sans argent ni laboratoire de recherche, Emmanuel Martinod s’était entendu dire, au terme d’une brève présentation de son projet : « Vous touchez à l’essentiel en proposant une solution biologique. » Magie de la nature : le tissu régénéré, orné de cils, peut servir de barrière contre les poussières extérieures et les bactéries.

Les Français ont pris de l’avance

Second miracle, le cartilage se régénère, lui aussi, au bout d’un an et demi, ce qui assure une stabilité à la nouvelle structure et permet au chirurgien de retirer le petit ressort métallique sans ouvrir, mais sous anesthésie générale. « C’est tellement incroyable qu’au début de nos travaux, personne ne voulait nous croire. Un chercheur américain s’est même excusé par écrit d’avoir douté de notre honnêteté », se souvient le professeur Martinod qui estime avoir réussi grâce à une « bonne dose de persévérance », de « belles rencontres » et une équipe soudée à son côté.
«Un seul cas pose problème»

Alors que six groupes de chercheurs sont lancés dans la même aventure à travers le monde, les Français ont pris de l’avance. Le chirurgien de Bobigny a réalisé toute une série d’implantations de trachées mais aussi de bronches artificielles (également fabriquées à partir d’aorte) sur des malades atteints de cancer du poumon.

« Les résultats sont très bons. Sur vingt patients, un seul cas pose problème mais ce n’est pas directement lié à l’intervention. » En attendant la publication qui devrait convaincre l’ensemble de la communauté scientifique, Emmanuel Martinod s’est lancé dans une nouvelle quête : l’invention d’un poumon bioartificiel implantable. Il se donne vingt ans pour parvenir à mimer cet organe qui, une fois déplié, est aussi vaste qu’un terrain de tennis.

Anne-Laure Barret – Le Journal du Dimanche du 29 Janvier 2017

• 3 février 2017


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