Don d’organes : «Je n’ai fait qu’appliquer la volonté de mon fils»
Emmanuel Forest, 18 ans, avait parlé avec sa mère de sa volonté de donner ses organes très peu de temps avant son décès.
Comment réagir lorsque l’on perd l’un de ses proches ? Le témoignage de Sophie Forest, 55 ans, dont le fils Emmanuel est décédé il y a cinq ans.
« Si je suis mort,de toute façon, je n’aurai plus besoin de mes organes. » Voilà ce qu’Emmanuel Forest a répondu à Sophie, sa mère, un certain 22 juin 2011. Nous venions de voir un spot d’information à la télé pour la Journée nationale, se souvient-elle. Comme il venait d’avoir 18 ans, il me semblait que la question méritait d’être abordée. » Sophie était alors à cent lieues d’imaginer que le sujet lui reviendrait dans la figure comme un boomerang deux jours plus tard.
« Le 24 juin, il a enfourché sa moto pour aller passer le bac de français à Senlis (Oise), poursuit-elle. Au centre d’examen, il s’est aperçu qu’il avait oublié sa pièce d’identité, alors il est retourné la chercher… » Mais à quelques kilomètres de la maison, le lycéen percute un tracteur qui lui coupe la route. Héliporté vers l’Hôpital européen Georges-Pompidou à Paris, il est aussitôt envoyé au bloc. Mais l’ampleur de son œdème cérébral ne laisse aucun espoir.
« Emmanuel était en état de mort cérébrale, il fallait que je prenne une décision », confie-t-elle avec un calme impressionnant. « Enfin, ce n’est pas moi qui l’ai prise, en réalité, c’est lui. Moi, je n’ai fait qu’appliquer sa volonté. » Bien sûr, elle a douté.
Bien sûr, elle a eu peur. Mais c’était une évidence. « Beaucoup de gens se disent favorables au don d’organes tant qu’ils n’y sont pas confrontés, s’agace-t-elle. Après, c’est une autre histoire. Souvent, ils ne sont plus d’accord que pour recevoir… Or ce qui fait mal quand on perd un être cher, ce n’est pas qu’on prenne ses organes, c’est que le destin vous l’arrache pour toujours. »
Les deux poumons d’Emmanuel seront donc prélevés, ainsi que ses deux reins, son foie et son coeur.
« En téléphonant à l’infirmière coordinatrice quelques semaines plus tard, j’ai appris que son poumon droit n’avait finalement pas pu être greffé car il était trop abîmé », indique Sophie. « Tous les autres l’ont été, mais avec son coeur et son foie, les greffes n’ont pas marché. Les trois autres receveurs, en revanche, vont bien. J’ai d’ailleurs reçu un courrier du père de famille qui a bénéficié de son autre poumon. Au début, j’étais en colère. Je ne comprenais pas pourquoi la loi m’empêchait de le rencontrer. J’aurais voulu pouvoir le serrer dans mes bras parce que ça aurait été comme ser rer Emmanuel. » Et puis avec le temps, l’amertume est passée. « Aujourd’hui, je pense à Emmanuel dans sa globalité. Plus à son poumon ni à ses reins qui continuent à vivre et à remplir leur rôle à travers d’autres. »
Article tiré du Parisien du 22 JUIN 2016, écrit par ÉLODIE CHERMAN