Soeur à soeur…
Ecrit par ma petite soeur Marie Laure
A ma soeur.
Il y a cinq ans, je recevais un appel de toi. L’appel tant attendu, celui qui amène espoir, peur, émotion, soulagement, un peu tout ça à la fois. Tu m’as juste dit « le CHU vient de m’appeler, il y a un greffon pour moi, je pars de suite, j’ai pas le temps de papoter ». Je suis abasourdie. Je ne m’y attendais pas. T’as pas le temps de papoter, mais moi j’ai tant de choses à te dire. Tu me presses « bon, je te laisse, je voulais juste te prévenir ». Je sens la tension qui t’étreint. Je voudrais te dire que tout va bien se passer, que je suis triste pour la famille du donneur qui a fait ce choix exemplaire de dire oui dans un moment de douleur intense, mais que je suis tellement heureuse pour toi, que je t’aime, que je voudrais être près de toi, mais je réussis juste à marmonner un « ok, vas-y, bisous », étranglée par l’émotion. Et puis ça a été les longues heures d’attente, seule, car Bruno travaillait ce samedi-là. Je me souviens avoir essayé de m’occuper à plein de choses, sans y parvenir. Puis le soir, appel de ton mari, ça y est, elle vient de descendre au bloc. Et moi, qui ne connaissais rien à toute la lourdeur des protocoles, je croyais que tu y étais déjà depuis des heures. C’était parti pour les heures les plus angoissantes. J’ai appelé les parents, des amis les entouraient pour passer les heures d’attente. Je me souviens que Bruno m’a un peu forcée à sortir dîner, je n’étais pas vraiment là, attendant l’appel rassurant de Fred, ton mari. Soirée DVD, je n’ai même pas ri à ce film pourtant drôle. Je pensais à toi, au stress de Fred, à celui des parents. Impossible de dormir. J’ai pris un livre, il est resté ouvert longtemps devant moi sans que je parvienne à le lire. L’épuisement a fini par me gagner au petit matin, toujours sans nouvelle de toi. Et puis, vers 5 ou 6 heures du matin, je ne sais plus, sms de Maman. Je prends fébrilement mon portable, j’essaie de lire. Bruno, au taquet, assis dans le lit et bien alerte, me demande « alors ?? ». « Ben j’ai les yeux tellement embrumés de sommeil que j’arrive pas à lire… ». Il m’a pris le portable des mains, parce que lui, il sait être efficace à toute heure même au réveil brutal, et a lu « opération bien passée, le rein fonctionne ». Voilà. Soulagement. J’ai relâché ma respiration que j’ignorais retenir depuis la veille. Et puis, j’ai pensé à tout ce que ça impliquait : la famille qui avait perdu un être cher, ce geste qu’ils avaient fait qui a permis de te sauver, toi, et d’autres personnes. Ta nouvelle vie sans dialyse, meilleure, moins épuisée. J’ai pris conscience que tu allais vivre près de nous plus longtemps. Ceux qui ne sont pas confrontés à cette épée de Damoclès qu’est de vivre sur un fil ne comprennent pas l’importance de faire connaître leur choix à leur entourage. Ça paraît si anodin de dire « un oui peut sauver une vie ». Moi j’en mesure toute l’importance. Tu es debout aujourd’hui, battante, exemplaire, avec une force incroyable malgré ta vie difficile. C’est toi qui insuffles tant de force à ceux qui en manquent. Le sport, les challenges, les médailles, tes rires, tes coups de gueule, ton soutien, ta présence, tes cadeaux, chaque instant avec toi auprès de nous est un bonheur. Je les savoure pleinement en pensant souvent « merci ». Et encore pour longtemps. Merci à l’ange qui t’a sauvée. Je t’aime grande soeur.